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Titel
Madame de Warens. éducatrice de Rousseau, espionne, femme d’affaires, libertine


Autor(en)
Noschis, Anne
Erschienen
Vevey 2012: Editions de l'Aire
Anzahl Seiten
488 S.
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Lise Favre

«Elle avait un air caressant et tendre, un regard très doux, un sourire angélique, une bouche à la mesure de la mienne, des cheveux cendrés d’une beauté peu commune, et auxquels elle donnait un tour négligé qui la rendait très piquante», ainsi Jean-Jacques Rousseau décrit-il Mme de Warens lors de leur première rencontre. Après le physique, le moral : «de la première entrevue, du premier mot, du premier regard, Mme de Warens m’inspira non seulement le plus vif attachement, mais une confiance parfaite et qui ne s’est jamais démentie». Le célèbre portrait ainsi tracé par Rousseau dans les Confessions prélude à une description détaillée de ses rapports avec sa bienfaitrice, mais aussi de la vie de celle-ci et de son itinéraire psychologique et spirituel. Y avait-il autre chose à dire? Certes: ainsi que le remarque Anne Noschis, Rousseau parle d’abord et surtout de lui-même et Mme de Warens, qui a joué un si grand rôle dans sa vie, n’apparaît que par réfraction dans son oeuvre.

L’auteure, enseignante dans un gymnase vaudois, a déjà à son actif plusieurs romans historiques. Elle a cette fois entrepris une ambitieuse biographie de Mme de Warens. Ambitieuse par ses dimensions tout d’abord (l’ouvrage compte près de cinq cents pages), mais surtout par l’étendue de la documentation recueillie, fruit de recherches d’archives extensives. Grâce à ce travail de fond, la vie de cette femme du XVIIIe siècle est replacée dans le contexte du Pays de Vaud sous la tutelle bernoise et le poids de l’Église protestante sur la vie quotidienne de chacun. Les lecteurs de la RHV apprécieront le tableau fouillé de la société vaudoise de cette époque, essentiellement rurale et campagnarde, mais où l’aristocratie s’efforce, non sans maladresse parfois, d’adopter des moeurs plus policées. Née en 1699 dans une famille de la petite noblesse vaudoise, Françoise de la Tour devient orpheline très tôt et hérite d’une fortune confortable. On la marie à 14 ans à Sébastien-Isaac de Loys, seigneur de Vuarrens, son aîné de dix ans. (L’usage savoyard transformera en «Warens» le nom de Vuarrens). Le mariage dure treize ans. Puis c’est la fuite à Évian, dans les États de Savoie; la belle se jette aux pieds du roi de Sardaigne, en visite à Évian pour y prendre les eaux, et se convertit spectaculairement au catholicisme – sincèrement? par intérêt? La biographe ne se prononce pas, et c’est tant mieux. Cette conversion a un grand retentissement tant en Pays de Vaud que dans les États de Savoie et dans le royaume de France. L’enjeu d’une telle conversion dans le contexte de la Contre-Réforme est analysé avec finesse. On apprend à quel point la hiérarchie romaine s’efforce, par tous moyens, de ramener les protestants égarés dans le sein de l’Église, lutte qui fait rage autour du lac Léman; à l’époque de l’abjuration de Mme de Warens, le pape ClémentXII se réjouit de compter dans le diocèse d’Annecy deux cent vingt-cinq «nouveaux convertis» pour lesquels il envoie des fonds à l’évêque, Mgr de Bernex. En ville de Genève, des rabatteurs traquent les déçus du calvinisme et les adressent à une véritable filière convertisseuse, dont la baronne fera partie. On comprend mieux dès lors comment la dame a pu émarger, sa vie durant, à la cassette royale. On est moins convaincu par la théorie selon laquelle Mme de Warens aurait été employée comme espionne par la Maison de Savoie, et les preuves documentaires mises en avant par sa biographe paraissent bien minces.

La rencontre avec Jean-Jacques, on le sait, a été décisive dans la vie de celui-ci. Le dimanche 21 mars 1728, jour des Rameaux, le jeune Jean-Jacques, âgé de 16 ans, se présente à la porte de la maison qu’occupe Mme de Warens à Annecy. Il a fui Genève et un apprentissage malheureux chez un horloger qui le bat et le maltraite. Recruté par ceux qui, à Genève, cherchent activement à provoquer des conversions au catholicisme, il est adressé à Mme de Warens, chargée d’accueillir les futurs convertis et de les amener à l’abjuration. C’est le début d’une affection réciproque qui durera jusqu’au décès de la baronne. Celle-ci deviendra – bien plus tard – la maîtresse de Jean-Jacques, qui d’ailleurs ne sera ni le premier ni le seul de ses amants. Elle a surtout exercé une influence considérable sur la formation de son protégé. Après sa conversion, elle lui fait donner une éducation musicale, qui culminera avec la composition du Devin de village, premier et seul opéra de Rousseau; elle lui offre des leçons de danse, d’escrime, lui ouvre sa bibliothèque, l’amène à rencontrer les beaux esprits qu’elle fréquente. Surtout, Rousseau partage la vie de sa bienfaitrice pendant quatorze ans, entretenu par elle, encouragé dans toutes ses entreprises, formé au maniement des idées par d’innombrables conversations sur les sujets les plus divers.

Bien sûr, les rapports avec Rousseau («Petit» ainsi que l’appelait affectueusement sa maîtresse) forment le coeur de l’ouvrage, mais Mme de Warens n’est pas seulement celle qui a formé, éduqué, aimé Jean-Jacques afin qu’il devienne Rousseau, elle a eu une existence par elle-même et c’est tout le mérite d’Anne Noschis de nous le montrer. Les tentatives, souvent brouillonnes et apparemment peu couronnées de succès, de son héroïne pour entreprendre des affaires commerciales sont analysées dans le détail, de même que ses relations avec le pouvoir, avec l’Église catholique (elle sera la protégée de Mgr de Bernex, évêque in partibus de Genève, qui la pensionnera sa vie durant sur sa cassette personnelle), avec le monde intellectuel savoyard, à Annecy comme à Chambéry. L’auteur publie en annexe de nombreux documents d’archives, dont le contrat de mariage des époux de Vuarrens, le testament établi par Mme de Warens en 1722 lors d’une grave maladie, l’inventaire (combien pittoresque) des «effets emportés par Mme de Warens de la maison de M. son mary» lors de sa fuite du domicile conjugal, ainsi que diverses correspondances. Un tableau des monnaies et du niveau de vie permet d’apprécier les aspects financiers traités par la biographe. L’ouvrage est illustré notamment par des photos des différents lieux de vie de la baronne, de Vevey à la maison des Charmettes immortalisée par les Confessions. Il est enfin complété par un glossaire, une bibliographie et plusieurs tableaux généalogiques des familles de la Tour et de Loys.

La vie de Mme de Warens n’avait plus fait l’objet de travaux d’importance depuis les ouvrages d’Albert Metzger en 1886, d’Albert de Montet et de François Mugnier en 1891. La biographie d’Anne Noschis comble donc un vide. Elle le fait de façon particulièrement élégante et bienvenue, avec une érudition toujours présente, jamais pesante et dans un style alerte. Son livre est un bon exemple de ce que peut être une vulgarisation historique réussie.

Zitierweise:
Lise Favre: Compte rendu de: Anne NOSCHIS, Madame de Warens, éducatrice de Rousseau, espionne, femme d’affaires, libertine, Vevey: Éditions de l’Aire, 2012. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 121, 2013, p. 293-294

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Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 121, 2013, p. 293-294

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